vendredi 2 octobre 2015

Jannin, Germain... et nous



Germain... et nous est né dans les pages du Trombone Illustré, supplément pirate qui sévit dans le journal de Spirou en 1977. Après l'arrêt du Trombone, Germain rejoignit les pages de l'hebdomadaire et y officia pendant plus de 20 ans.
Bien qu'il donnait son nom à la série, Germain disparut vite de cette galerie de personnages créé par Frédéric Jannin, avec l'aide de Thierry Culliford, Yvan Delporte puis Sergio Honorez (avec qui Jannin partagea également l'aventure des Snuls, pendant belge des Nuls, et actuel rédacteur en chef du journal de Spirou). Cette série-chorale vit de nombreux personnages aller et venir autour d'un noyau dur composé de Luc-Luc, André-Marie, Pilou, Calorine et quelques autres.


L'air de rien, Jannin avait réussi à capturer l'ambiance d'une époque: les années 80 et la "bof generation". Les idéaux de 68 étaient déjà loin, et les préoccupations alter-mondialistes n'étaient pas encore à la mode. Ces jeunes vivaient dans les golden eighties, sans trop se poser de questions, même si le titre de chaque album se décline en autant interrogations. Le titre du premier tome résume bien leur état d'esprit: "Qu'est-ce qu'on fait ?" Pourtant, cette décennie fut celle d'une révolution du mode de vie, la société devenant définitivement une société de consommation. Apparurent les fast-foods, les magnétoscopes, les vidéo-clubs... Au milieu de ce petit monde en pleine effervescence tranquille, Germain et les autres vivaient, tombaient amoureux, tentaient vainement de perdre du poids comme Calorine, rêvaient à leur gloire future de rock-stars comme Pilou, se passionnaient pour les Bowling Balls, vrai-faux groupe fictive emmené par Bert Bertrand, le fils d’Yvan Delporte ...
Jannin possède un vrai sens de l'observation et a croqué des personnages drôles et touchants. Sous l'apparente simplicité d'une série de gags en une planche, il animait une galerie des personnage moins typés qu'il n'y paraît. Le plus emblématique reste le père de Pilou, calqué sur un certain Pierre Culliford, père de Thierry Culliford et plus connu sous le nom de Peyo. Fan de foot, colérique, parfois ridicule (la phrase "Tais-toi quand tu parles a ton père !" est véridique, selon Thierry Culliford), mais il serait trop facile de le réduire à une caricature du père beauf. Comme tous les autres, il acquit une vraie dimension humaine, malgré, ou à cause de son aspect caricatural. Car Jannin éprouve de la tendresse pour ses personnages, sans doute parce qu'ils sont inspirés de ses proches.

Papa Culliford, alias Peyo


Germain fut une des premières séries "générationnelle", adoptant le langage et le point de vue des adolescents, un peu comme Titeuf le fait pour les enfants. Le ... et nous du titre ne faisait-il pas directement référence à ... nous, les lecteurs, qui pouvions nous identifier d'autant plus facilement à cette petite bande qu'ils nous ressemblaient vraiment ? Pour l'époque, il s'agissait d'une petite révolution. Et elle ne plaisait pas à tout le monde.
Je me souviens de mon professeur de religion (oui, en Belgique, nous avons des cours de religion ou de morale laïque à l’école), le bien nommé monsieur Lheureux (qui donnait toujours l’impressiond’être sur le point d’exploser d’exaspération), qui était tombé sur un album de Germain et avait été choqué par ce qu'il y avait lu. En cause, on y tournait les adultes en ridicule. Pourtant, Jannin restait très sage, mais, au sein d'une institution d'illustrés pour le jeunesse où prévalait une certaine tradition bien-pensante, il incarnait une impertinence malvenue pour certains.
Mais cet aspect générationnel finit par jouer en défaveur de cette série. Cette chronique d'une génération, qui découvre les fast-foods, les magnétoscopes et les vidéoclubs, peut-elle intéresser un autre lectorat que les quarantenaires qui se replongent avec nostalgie dans ces histoires qui leur rappellent leurs jeunes années ? Jannin, très occupé par les Snuls, dut aussi se rendre a l'évidence: Pilou, André-Marie, Calorine et les autres avaient fini par ne plus être en phase avec leur époque. La série s'arrêta donc en 1993. Il a depuis remis le couvert pour une autre série, Que du bonheur! entre 2004 et 2008), qui reprend le même principe de la galerie de personnages utilise pour se livrer à une gentille radioscopie d’une génération, celle des trentenaire/quarantenaires, aux prises avec tous les petits soucis existentiels.
Froud et Stouf
Parce que l'histoire de la bande dessinée est un éternel recommencement ,il est bon de se rappeler que Jannin était la cible de pas mal de critiques. Son style relâché attira les célèbres "mon petit filleul de 5 ans ferait aussi bien" comme la leffe attire les mouche a bières (en général, l'auteur de ce genre de critique ne dira jamais "je pourrais faire aussi bien", ce qui met en évidence la vacuité de l'argument). Ces mêmes critiques fusèrent plus tard lors des débuts de Trondheim ou Sfar, et fuseront encore. Cet élève de Franquin est pourtant un travailleur acharné. Lors de la réédition de Arnest Ringard, qui était scénarisé par Delporte et Franquin, il eut l'excellente idée de joindre des commentaires de Franquin sur certaines planches. On y prend la mesure du travail nécessaire pour une planche réussie, où chaque détail compte. Jannin est resté très marqué par l’oeuvre de Franquin, au point qu’il est en charge de la restauration des planches du maître pour les dernières rééditions.
Une importante rétrospective lui est consacré au CBBD, entre une intégrale de Germain, une réédition en 2 gros volumes de Que du Bonheur!  (sous-titré Petit traité des familles recomposées). Il est en effet temps de célébrer cet hyperactif, auteur de bande dessinée, homme de radio (sa participation assidue au jeu des dictionnaires), de télévision (les Snuls), musicien (dont un presque hit mondial avec Zinno) et de plein d’autres choses comme les capsules JAADTOLY (J’aime autant de t’ouvrir les yeux) et Froud et Stouf, avec au autre compère des Snuls Stefan Liberski.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire